Moulin des Dalles

MOULIN DES DALLES
« par Gilles Grenier de la Société d’histoire de St-Étienne,
(aussi publié dans le bulletin Le Bornival de juillet 2014) »

De la route Bellefeuille, qui établit la jonction entre les municipalités de Saint-Barnabé et de Saint-Etienne-des-Grés, les voyageurs doivent emprunter le pont des Dalles pour franchir la Rivière Yamachiche. L’appellation des Dalles trouve son nom à l’aspect du lit de la rivière creusé dans le roc et affectant la forme d’une dalle. Pour retracer les vestiges de cet ancien moulin, le visiteur doit suivre un chemin étroit qui longe la berge à main droite, sur une distance d’environ cinq arpents. Ayant contourné la courbe de la rivière, il se trouve en présence du site historique à explorer. De nos jours, seules de fortes tiges de fer enfoncées dans le galet rappellent l’immense digue qui barrait la rivière.

Nous n’avons pu relever la date exacte de l’établissement de ce moulin. Néanmoins, d’après les registres paroissiaux, Joseph Bournival aurait bâti le premier moulin à cet endroit vers 1857, en vue de la construction de l’église paroissiale. Il fut aidé, dit-on, de ses frères: Jean-Baptiste, François, Antoine, Augustin et Félix. Disons en l’occurrence, que ce dernier trouva la mort, ainsi que son épouse, dans la nuit du 21 février 1863, par 1’écroulement du plafond de leur demeure, chargé de grain. 

Le moulin à scie était actionné par la traditionnelle roue à aubes, d’une quinzaine de pieds de diamètre. Elle pouvait faire fonctionner une scierie, composée de scies jumelées ou scies de long, à plus d une lame. Le mouvement de va-et-vient était imprimé aux lames au moyen de bielles qui les faisaient mordre dans le bois à débiter. Ce n’était donc pas une scie circulaire mais bien des scies sous la forme d’un godendart.  

Vers 1865, Luc Bellefeuille, marié à M.-Anne Girardin, fi!le d’Augustin Girardin, avec le concours de ses fils, Alfred et Pierre, acquit le moulin des Bournival, le modernisa et l’exploita avec grand succès. La scie ronde remplaça l’ancienne scierie et l’on fabriqua le bardeau; l’addition de moulanges permit la mouture des grains.  Luc Bellefeuille et fils exploitèrent aussi vers 1878, une carrière de pierre calcaire pour la fabrication de la chaux. Des hauts fourneaux furent installés sur la rive opposée, près du pont. Ce produit était livré aux Vieilles-Forges. C’est en leur mémoire que le chemin de liaison entre les deux localités fut désigné de route Bellefeuille.   

En 1890, cet imposant moulin devenait la propriété de François Grenier dit Le Prince, fils d’Antoine et de Philie Matteau. marié à Georgiana Villemure, soeur de Narcisse Villemure d’Yamachiche. Dans la suite, Francis Prince s’associera à Wilfrid Boucher, son beau-frère, en raison d’une clientèle sans cesse croissante. Au décès de M. François Grenier dit Francis Prince, en 1913, ses fils prennent la relève, tandis que M. Wilfrid Boucher cède sa part pour aller construire un autre moulin au village de Saint-Barnabé, en le faisant fonctionner à l’aide du pouvoir à vapeur. De 1913 à 1924, les frères Adem, Ovila et Wilfrid Grenier se succédèrent à la gestion du moulin, jusqu’à la terrible catastrophe du 13 octobre 1924, qui mit fin aux longues années de son établissement, sans compter les pertes ruineuses causées au propriétaire.  

A l’instar des quelques vingt moulins établis sur cette rivière, leur activité avait souvent été à la merci des grandes débâcles du printemps. Mais cette fois-ci, le ravage se produisit en automne, lors d’une pluie torrentielle prolongée et de la crue des eaux. C’est la région des Dalles qui a eu le plus à souffrir de cette tempête. La famille Wilfrid Grenier a échappé de justesse à la mort, quand, au milieu de la nuit, la maison où elle veillait dans l’anxiété, fut en l’espace d’une demi-heure emportée dans un glissement de terrain et engloutie à la suite du fort courant. Les occupants de la maison n’eurent que le temps de s’enfuir par la porte arrière, n’ayant que leurs vêtements de nuit. Il en fut ainsi des autres bâtisses qui abritaient, entre autres : chevaux, vaches et cochons, dont on entendait les cris dans les ténèbres de la nuit. Résidence, ménage lingerie, bâtiments avec récolte, animaux, voitures, instruments agricoles, tout disparut dans le torrent. Des propriétés de M. Grenier, il ne restait plus que le moulin juché sur ses pilotis au milieu de la rivière. Il avait été coupé de la terre ferme par cet éboulis de terrain, dû à l’infiltration de la poussée de l’eau à travers les couches souterraines qui n’a pas tardé à les miner. (Quelques jours plus tard, on pouvait observer avec tristesse jusqu’à Yamachiche, des débris de toutes sortes jonchant les rives de la rivière. Au moulin Lemyre, on a retrouvé le plancher de la maison, peint en jaune et percé d’une porte de cave. A un autre endroit, I’attention fut attirée par la présence d’un cochon vivant enfourché aux branches d’un arbre. Ce tragique événement clos bien mal le récit historique du moulin des Dalles, dont les personnes âgées de notre époque conservent néanmoins un heureux souvenir, principalement de la famille François Grenier qui jouissait d’une excellente réputation. M. Ravmond Grenier, journaliste à l’emploi de La Presse, est le petit-fils de François Grenier, étant l’enfant de Josaphat Grenier.  

De nos jours, la propriété foncière de l’emplacement de cet autre moulin disparu, mais non oublié, appartient à M. Marcel Lafrance: elle est localisée sur le lot no 486 du cadastre de Saint-Barnabé-Nord.