Une histoire des franco-américains (1840-1930)
1. Au commencement : le développement de l’industrie textile en Nouvelle-Angleterre
Le développement de l’industrie textile au début du 19e siècle en Nouvelle-Angleterre est dû à quelques riches familles marchandes de Boston qui étaient pour la plupart déjà actives outre-mer dans une grande variété de domaines (farine, sucre, thé, mines, métallurgie), en Chine, en Europe et dans les Antilles. Disposant de bons contacts politiques, plusieurs ont également armé des navires au service de l’Angleterre dans ses luttes contre la France et l’Espagne.
D’autres ont plutôt fait dans la contrebande ou se sont adonnés à d’autres activités illicites, comme le commerce des esclaves, pourtant prohibé dès 1807, ou celui de l’opium, malgré les interdits de la Chine et la position prédominante de la Grande-Bretagne dans ce trafic illégal.
Après le blocus continental décrété par Napoléon en 1806, dans le but de ruiner le Royaume-Uni, un embargo britannique suivit en 1807 comme mesure de rétorsion, empêchant notamment tout navire américain de faire du commerce en Europe. Avec la guerre de 1812, décrétée par les États-Unis en réaction contre l’Angleterre, de nombreux commerçants, désireux de continuer à faire fructifier les avoirs importants qu’ils avaient accumulés jusque-là, ont alors entrepris de se lancer dans la production locale de biens manufacturés.
Ce qui avait fait la fortune de plusieurs grandes familles commerçantes fut ainsi réinvesti dans la fabrication de produits de toutes sortes, notamment dans l’industrie textile et le rachat de nombreuses plantations de coton du sud des États-Unis.
La configuration géographique plutôt rocheuse et montagneuse qu’on trouvait en Nouvelle-Angleterre était moins propice à l’agriculture, mais elle était bien pourvue en ressources hydrauliques. Elle avait désormais le capital pour profiter pleinement des avancées technologiques de la révolution industrielle en cours. Ce fut d’ailleurs à un point tel que, vers 1850, la Nouvelle-Angleterre, avait investi 75 % plus de capital, employait 75 % plus de travailleurs et produisaient 45 % plus de produits finis que les régions voisines réunies, lesquelles disposaient pourtant d’une population trois fois supérieure[1].
Parmi les tout premiers développeurs, il y eut Francis Cabot Lowell qui établit en 1815 une première manufacture opérationnelle dotée d’un moulin à eau sur la rivière Charles, près de Waltham, dans le Massachusetts. Après les succès de son aventure à Waltham, ses associés et lui planifièrent de harnacher la rivière Merrimack dont la puissance pouvait faire tourner bien des moulins. Lowell décéda en 1817, mais ses associés fondèrent la ville prototype de Lowell, du nom de leur associé décédé.
Les femmes constituèrent la première force ouvrière des moulins à textile de Lowell où elles représentaient 90 % de la main-d’œuvre en 1827. Selon les plans des fondateurs, celles-ci ne devaient travailler que quelques années, avoir entre 16 et 25 ans, être nées aux États-Unis, de bonnes familles, blanches et protestantes. Contrairement à ce qui se faisait alors dans les moulins d’Angleterre où les ouvriers étaient menés au fouet et jusqu’au bord de l’épuisement total, des bâtiments furent érigés pour loger ces femmes et des chaperonnes devaient veiller au respect des règles de bonne conduite, incluant la participation aux cérémonies religieuses du dimanche.
Soutenue par sa force ouvrière féminine et la puissance hydraulique de ses rivières, l’industrie textile crût rapidement et Lowell devint en 1840 la deuxième plus grande ville du Massachusetts.
De nombreux autres moulins furent aussi construits ailleurs au Maine (Waterville, Lewiston, Biddeford), au New Hampshire (Manchester, Nashua), au Vermont (Burlington, Winooski), au Massachusetts (Fall River, Chicopee, Lawrence), au Rhode Island (Woonsocket, Pawtucket, Central Falls) et au Connecticut (Thompson, Putnam, Norwich), presque partout en fait où une rivière pouvait faire tourner une roue à aubes.
L’industrie textile se développa donc rapidement. Toutefois, elle nécessita bientôt une main-d’œuvre abondante et moins dorlotée que celle des débuts de l’industrie textile à Lowell. C’est ainsi que les jeunes ouvrières américaines, qui constituaient la majorité des travailleurs entre 1815 et 1840, furent remplacées dans les années 1840 et 1850 par des Irlandais qui fuyaient la famine dans leur pays, ainsi que par d’autres immigrants provenant surtout de pays européens, venus trouver de l’emploi aux États-Unis, si bien qu’à Lowell même, le pourcentage de travailleurs étrangers passa de 4 % en 1836 à quelque 60 % en 1860.
Une troisième vague, constituée de travailleurs étrangers, provenant cette fois du Canada français, déferla sur la Nouvelle-Angleterre, surtout après la guerre de Sécession et jusqu’à la grande Dépression, entre 1880 et 1930.
La situation au Canada
Contexte politique
Avec la fin de la guerre de Sept Ans en 1763, les autorités britanniques, dont les finances furent mises à mal par leur conflit avec la France, adoptèrent des lois et levèrent des taxes qui conduisirent les habitants de leurs treize colonies d’Amérique du Nord à la guerre d’indépendance (1775-1783).
Désireuse de s’assurer de la loyauté de ses nouveaux sujets de langue française, la Couronne britannique autorisa en 1774 les habitants de la « Province of Quebec[2] » à conserver leur langue, leur religion et leur code civil (Acte de Québec). Mais, la proclamation d’indépendance en 1776 et la défaite anglaise de 1783 provoquèrent la fuite de 50 000 loyalistes vers le Nord.
Avec la défaite et l’afflux de loyalistes et d’immigrants qui rejetaient les lois françaises et la religion catholique, les autorités durent revoir l’organisation politique de la « Province de Québec ». La colonie, conquise en 1763 et amputée en 1783 au profit des États-Unis qui ont gagné la guerre, fut divisée en 1791 : le Haut-Canada (Ontario) anglophone et le Bas-Canada (Québec) français.
Les gouverneurs anglais, qui se sont ensuite succédé pendant près de quarante ans au Bas-Canada, se sont toutefois surtout appliqués à maintenir et à renforcer leur pouvoir, ainsi que celui de la minorité anglophone qui détenait les principaux leviers économiques. Cela mena à la rébellion de 1837-1838. Mais, les patriotes furent vaincus et beaucoup s’enfuirent aux États-Unis.
Après cette forme de guerre civile au Bas-Canada, Londres envoya sans tarder Lord Durham pour analyser la situation et formuler des recommandations.
Dans son rapport en 1839, il estimait qu’un problème majeur était d’essayer de faire coexister deux « races » au sein d’une même colonie. Il préconisa donc l’assimilation culturelle des Canadiens en tant que peuple. Et pour y parvenir, il recommanda l’union du Bas et du Haut-Canada dans une colonie gouvernée par un parlement unique où les Canadiens allaient bientôt, et désormais, être en minorité.
Suivant ces recommandations, les deux provinces furent réunies par l’Acte d’union, voté en 1841, créant la « Province du Canada ». Un peu plus tard, en 1867, cette province du Canada fut rejointe par les colonies de Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick au sein d’une nouvelle confédération.
Les quelque cent années de remous politiques, qui ont conduit à la Confédération en 1867, ont aussi conduit à une première vague d’émigration vers les États-Unis. Les salaires payés en Nouvelle-Angleterre ainsi que les attraits du Midwest américain en pleine croissance ont ensuite attiré les plus pauvres et les plus hardis dans une deuxième vague qui s’amplifia avec la fin de la Guerre de Sécession (1861-1865).
Contexte économique
La population canadienne-française connut une forte poussée démographique entre 1784 et 1840, laquelle entraîna d’abord une division des terres familiales, puis un courant migratoire vers l’arrière-pays. On vit alors naître de nombreux villages ainsi que de nouvelles activités économiques capables pour un temps d’absorber le trop-plein de la population agricole.
Beaucoup de ceux qui n’avaient pas accès à la terre devinrent ainsi journaliers agricoles et louaient leurs services. Beaucoup d’autres trouvèrent des emplois en forêt ou dans les scieries qui préparaient le bois à destination de l’Angleterre, notamment pour ses besoins de construction navale alors qu’elle était aux prises avec les guerres napoléoniennes.
Mais, à partir de 1830, le Québec connut une série d’années difficiles, faites de crises économiques et de mauvaises récoltes qui se succédèrent et gonflèrent les rangs des sans emploi et des émigrants potentiels. La concurrence du blé de l’Ouest canadien à compter de 1870 provoqua aussi un virage important vers d’autres productions agricoles, comme l’élevage et la production laitière. Mais beaucoup de fermiers ne purent s’adapter, ne disposant pas des capitaux requis, ni d’ailleurs d’un système de crédit fonctionnel[3].
L’appauvrissement des agriculteurs et l’arrivée continue de jeunes en âge de s’établir multiplièrent le nombre de ceux qui partirent à la recherche d’emplois, parcourant la campagne, les villages et les chantiers en forêt ou tentés par l’expérience des États-Unis, notamment par les moulins du Nord-est américain.
Partir pour les « États » devint une stratégie de survie parmi d’autres, comme d’ailleurs celle de partir en ville, la population urbaine passant de 10 % en 1831 à quelque 28 % en 1881. Alors que la réponse au défi démographique fut surtout d’ouvrir de nouvelles terres à l’agriculture en Estrie, dans les Laurentides, en Abitibi et au Lac St-Jean, les moulins de Nouvelle-Angleterre restaient une alternative de choix.
Séduits par les témoignages de la parenté en visite au pays, beaucoup de Canadiens conclurent que la vie était plus facile aux États-Unis. La pauvreté dans laquelle ils survivaient ainsi que l’espoir de bien meilleurs revenus en Nouvelle-Angleterre constitua un puissant moteur de migration. Et, en quelques années, l’apparition des « Petits Canadas », disposant d’écoles et d’églises francophones, mit fin aux appréhensions d’un grand nombre de « Canadiens » qui craignaient la perte de leur langue et de leur âme, dans une contrée étrangère et, qui plus est, anglo-protestante.
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La migration vers les États-Unis – une véritable hémorragie
La présence française en Amérique s’est étendue sur le continent bien avant 1763, au temps de la Nouvelle-France. À la conquête, plus de 25 000 colons français s’étaient déjà établis autour du lac Érié, au Michigan, en Ohio, au Wisconsin, et tout le long de la vallée du Mississippi, jusqu’en Louisiane.
Le dépeuplement du Québec commença plutôt après la Conquête, d’abord pour des raisons politiques. Près de 4 000 personnes[4] choisirent en effet de retourner en France.
Quelques années plus tard, lors de la guerre d’indépendance américaine (1776-1783), plusieurs autres milliers de Canadiens-français sont partis et se sont joints aux colonies révoltées, pour ensuite décider de se fixer aux États-Unis, notamment dans le but d’échapper aux représailles britanniques anticipées à leur retour au pays. Ils furent en effet assez nombreux à accepter les terres qui leur étaient concédées sur les bords du lac Champlain, en reconnaissance de leur soutien militaire, notamment par l’État de New York qui encourageait ceux qui voulaient s’y établir.
Puis, sous les régimes arbitraires des gouverneurs anglais, très souvent opposés à la majorité francophone du Bas-Canada, il y eut un autre mouvement migratoire vers le Vermont, qui dura du début du 19e siècle jusqu’à la rébellion des patriotes en 1837-38. Cette migration « politique » fut toutefois limitée à quelques centaines d’individus qui allèrent s’établir dans le nord de l’État de New York ainsi qu’au Vermont, à Burlington où Ludger Duvernay s’exila avant d’ouvrir le journal de langue française Le Canadien Patriote en 1839.
Une migration « économique » devait suivre peu après. D’abord saisonnière, en raison du début d’une longue période d’années difficiles qui débuta en 1830, cette migration se transforma en exode permanent qui suscita l’inquiétude au tournant des années 1840. L’émigration nette des Canadiens français vers les États-Unis dépassa en effet le seuil des 100 000 personnes entre 1840 et 1860.
Un comité spécial fut même chargé par l’Assemblée législative d’enquêter sur le problème au Bas-Canada en 1849. D’après cette enquête, le problème était surtout concentré à Montréal et à Québec. Quelque 30 000 personnes, sur une population totale de près de 800 000 habitants avaient quitté le Québec dans les 5 années précédant l’enquête. Deux régions des États-Unis attiraient particulièrement les émigrants : les États du Nord-Est et le Midwest américain où le Gouvernement américain encourageait la colonisation en distribuant des terres à peu de frais.
Beaucoup de fermiers du Québec ont ainsi vendu leurs fermes pour aller s’installer dans l’Illinois ou dans un des états voisins. Ils imitaient de cette façon bon nombre d’Américains à la recherche de terres à cultiver ou de travail dans les forêts. Ces nouveaux arrivants se joignirent à la présence plus ancienne des habitants qui s’étaient établis à l’époque de la Nouvelle-France[5], tout le long du fleuve Mississippi ainsi que dans les états plus à l’ouest bordant la frontière canadienne.
Quant aux citadins et journaliers des régions du Québec, ils partaient plutôt pour les manufactures, les briqueteries ou les carrières de la Nouvelle-Angleterre et de l’État de New York. Cette enquête de 1849 n’eut cependant aucune suite au Canada et l’exode se poursuivit. Si bien qu’en 1857, un comité spécial fut de nouveau chargé d’enquêter sur l’émigration des « Canadiens », cette fois de partout au pays.
Dans cette nouvelle enquête, on établit à quelque 45 000 le nombre de ceux qui avaient quitté le Bas-Canada à destination des États-Unis au cours des 5 années qui précédaient. Et, cette fois-ci, tous les coins du Québec étaient affectés. On partait pour les États-Unis, surtout la Nouvelle-Angleterre dans une proportion de près des deux tiers, dans les filatures, les « factries » de coton et l’industrie du bois. Les villes de Manchester, Woonsocket, Fall River, Lowell et bien d’autres se peuplèrent de Québécois, au grand bonheur des industriels qui étaient en quête d’une main-d’œuvre abondante.
L’émigration, déjà fort préoccupante au cours des années 1830 à 1860, fut suivie d’une véritable épidémie qui commença avec la fin de la guerre civile américaine (1861-1865). De 30 000 à 40 000 Canadiens français seraient même partis servir dans les armées de l’Union, entre 1861 et 1865.
Les difficultés économiques persistantes au Québec et la croissance économique qui a suivi la guerre aux États-Unis causèrent une véritable saignée qui n’avait pas de limites et qui affectait aussi bien les Canadiens français que les autres Canadiens. De partout au pays, on partait pour les « États », incluant des milliers de ces nouveaux immigrants que le Canada venait tout juste d’attirer pour peupler l’ouest du pays.
Le taux d’émigration aux États-Unis ne commença à redescendre qu’à partir de 1890. Même lors de la reprise économique entre 1920 et 1930, le nombre des émigrants ne retrouva pas les seuils des belles années précédentes. Et à partir de 1930, avec la Dépression, l’émigration des Canadiens aux États-Unis cessa pratiquement au Québec, et fut très modeste au Canada anglais.
Si on peut évaluer à près de 900 000 le nombre de Canadiens français qui ont émigré et sont restés aux États-Unis entre 1840 et 1930, on estime que près des deux tiers d’entre eux se sont installés en Nouvelle-Angleterre, et de façon prépondérante au Massachusetts à partir de 1870. On y retrouve d’ailleurs en 1930 plus de 45 % des franco-américains de Nouvelle-Angleterre, en raison surtout d’une plus forte concentration des industries du textile et de la chaussure.
Les retours au pays
Si l’émigration fut d’abord un fait saisonnier aux débuts du 19e siècle, elle prit rapidement une allure permanente et peu d’émigrés décidèrent de revenir au pays avant les années 1920.
Bien que les élites québécoises aient déploré le mouvement migratoire qu’ils estimaient dangereux pour l’avenir du Québec, les efforts tentés pour endiguer le flot des émigrants[6] eurent peu de succès. Même lorsque les habitants de Nouvelle-Angleterre se sentirent envahis et qu’un mouvement anti-canadien-français s’y fit jour, ceux-ci décidèrent en grande majorité de rester et de devenir des citoyens américains plutôt que de retourner au pays. Des retours, il y en eut toutefois, surtout durant la décennie 1920-1930, et ce fut davantage le fait des émigrés récents.
Étrangement, une nouvelle poussée d’émigration eut lieu pendant cette même décennie, même si un retour important au pays eut également lieu.
En fait, c’est surtout à partir du krach de 1929 que beaucoup de nouveaux émigrés ainsi que quelques anciens issus des vagues antérieures commencèrent à rentrer au pays. D’ailleurs, malgré un taux de natalité encore élevé à cette époque, le nombre de franco-américains est demeuré à peu près le même entre les recensements américains de 1930 et de 1910. Le Québec aurait ainsi pu récupérer le tiers des émigrants perdus au cours des années 1900 à 1930 (~310 000), grâce au retour d’une centaine de milliers de « francos » nés aux États-Unis et d’autres plus récents nés au Québec[7].
Pourquoi pas dans l’Ouest canadien
Avec le développement de l’Ouest canadien et l’entrée du Manitoba (1870), de la Saskatchewan (1905) et de l’Alberta (1905) dans la Confédération, ces provinces auraient pu attirer davantage de franco-américains et de Canadiens français.
Le Gouvernement du Canada tenta certes de les attirer, mais sans vraiment de conviction ni beaucoup de succès. Pendant qu’il en coûtait pour s’établir au Manitoba quelque deux ans de salaire à un ouvrier des moulins de Nouvelle-Angleterre, le Gouvernement canadien courtisait les immigrants européens pour s’établir dans l’Ouest canadien. En 1873, le Gouvernement canadien défrayait même le voyage d’immigrants allemands de Hambourg à Winnipeg, incluant nourriture et logement pour le trajet, en plus de consentir à des prêts à l’installation importants. Ces conditions n’ont jamais été offertes aux franco-américains, pas plus d’ailleurs qu’aux résidents du Québec. En comparaison, à cette époque, le gouvernement américain donnait littéralement des terres à ceux qui en voulaient, jusqu’en Arkansas.
En plus de ces aspects économiques, des considérations ethniques et politiques ont aussi entravé l’immigration dans l’Ouest canadien. Les rébellions des métis de 1869-70 et de 1885, avec l’exécution de Louis-Riel cette année-là, sont des évènements qui ont été suivis et qui étaient bien connus des Québécois autant que des franco-américains. Comme l’a été également l’imposition par le gouvernement provincial de l’anglais comme seule langue officielle du Manitoba en 1890.
Par ailleurs, comme les nouvelles générations de franco-américains de Nouvelle-Angleterre étaient des travailleurs d’usines depuis leur plus tendre enfance, la vie rurale au Québec ou au Canada n’était pas de nature à vraiment les attirer, aussi difficile qu’ait pu être la vie en Nouvelle-Angleterre pour nombre d’entre eux.
Les Bournival qui sont partis aux États-Unis entre 1840 et 1930
Plusieurs membres de la grande famille des Bournival ont émigré entre 1840 et 1930 et pris racine aux États-Unis, essentiellement en Nouvelle-Angleterre. D’autres en sont aussi revenus.
En parcourant le Livre de généalogie de la famille Bournival, produit en 2013, on peut rapidement identifier une douzaine de branches familiales qui se sont bien implantées aux États-Unis, ainsi que des contributions majeures à la lignée d’autres patronymes.
Dans la lignée de Jean-Baptiste (1804-1854), une première branche familiale est issue de son fils Jean-Baptiste (1838-1918), parti pour la Nouvelle-Angleterre où il s’est marié en 1858. Il mourra à Manchester en 1918. Son fils Napoléon (1860-1943) aura quant à lui 13 enfants dont au moins trois sont à l’origine de branches familiales importantes, toutes originaires de Manchester (NH). L’un de ses petits-enfants, Richard Dick Bournival (1929-2005), est probablement le plus connu pour avoir été le fondateur de plusieurs concessions automobiles en Nouvelle-Angleterre.
Raphaël (1848-1928), de la même lignée, après avoir élevé sa famille à St-Étienne-des-Grès, est lui aussi parti pour Manchester où il s’est marié en secondes noces en 1910. Il serait allé rejoindre son fils Hormidas qui a eu 8 enfants, dont un fils, Joseph, est à l’origine d’une autre branche familiale en terre américaine. Deux de ses filles se aussi sont mariées à Manchester à la fin des années 1920. Par contre, Hormidas et au moins un de ses enfants, Aimé, né à Fall River (MA), sont des « rapatriés », revenus vivre à St-Thomas-de-Caxton.
Dans la lignée de Joseph (1807-1864), Félix (1830-1863) verra plusieurs de ses petits enfants, nés Garceau, partir pour Waterbury (CT) dans les années 1920. Un petit-fils, Joseph Arthur, ira quant à lui fonder une nouvelle branche familiale à Waterbury (CT) où il se mariera en 1938. Un autre de ses petits-fils, Ovila, verra aussi ses sept enfants, dont quatre garçons, partir eux aussi pour Waterbury (CT) où ils fonderont autant de nouvelles branches familiales.
Un autre fils de Joseph, Euchariste (1840-1914), verra aussi au moins cinq de ses petits-enfants nés Milot partir au Massachusetts et au Vermont.
Dans la lignée de François (1810-1879), Hyacinthe semble le seul de ses 12 enfants à avoir eu une descendance qui soit allée aux États-Unis. En fait, seulement deux de ses dix-neuf enfants auraient séjourné quelque temps aux États-Unis.
Louis James, marié à Manchester en 1880, revient toutefois à St-Étienne-des-Grès en 1882 où il aura deux enfants. Après le décès de son épouse, il se remariera en 1888 à Manchester, mais ses quatre enfants naîtront à St-Étienne-des-Grès entre 1889 et 1895. Enfin, il prendra épouse une troisième fois en 1897 à St-Étienne-des-Grès où il mourra en 1936.
Le deuxième enfant d’Hyacinthe à s’être rendu aux États-Unis, William s’est marié à St-Barnabé en 1915. Il est décédé en 1929 à New-Bedford (MA) où il ne s’est toutefois rendu avec sa famille qu’après la mort d’Hyacinthe en 1927. Son fils Simon vécut un temps aux États-Unis, puis en Ontario avant de revenir s’établir à Shawinigan en 1941.
Dans la lignée d’Antoine (1812-1888), un seul de ses 13 enfants, Arsène Louis, né à St-Barnabé et marié en 1875 à St-Sévère, a émigré aux États-Unis. Il est lui aussi à l’origine d’une branche familiale américaine assez importante. Arrivé au New Hampshire en 1887 avec six enfants, il en aura quatre autres dans le Michigan, entre 1889 et 1893. Il obtiendra ensuite sa citoyenneté américaine en 1896 et mourra en 1939 à Manchester. Sa descendance est restée en terre américaine.
Dans la lignée d’Augustin (1818-1897), dernier de la fratrie de quatrième génération, aucun des quatorze enfants, ni aucun de leurs descendants, ne semble avoir émigré aux États-Unis entre 1840 et 1930.
Pierre Bournival
mars 2021
Sources:
- A Distinct Alien Race, The untold story of franco-americans, David Vermette, 2018, Baraka Books, Montréal, 389 p.
- Les franco-américains de la Nouvelle-Angleterre, Rêves et réalités, Yves Roby, 2000, Éditions du Septentrion, Québec, 526 p.
- L’émigration des Québécois aux États-Unis de 1840 à 1930, Yolande Lavoie, 1981, Éditeur officiel du Québec (http://www.cslf.gouv.qc.ca/bibliotheque-virtuelle/)
- L’émigration des Canadiens français vers les États-Unis, 1790-1940 : problématique et coups de sonde, Paquet, G. & Smith, W. R. (1983), L’Actualité économique, 59 (3), 423–453, https://doi.org/10.7202/601059ar
- Canadian Refugees in the American Revolution, Carl Wittke, 1952 (https://electriccanadian.com/history/articles/refugees.htm)
- Recensements du Canada 1806-1871 (https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/98-187-x/4064809-fra.htm)
- (Revue d’histoire de l’Amérique française, Volume 68, Numéro 1–2, Été–Automne 2014, p. 101–124)
[1] Entre 1840 et 1860, plus de 4 millions d’Européens sont arrivés aux États-Unis, dont près de 1 700 000 Irlandais, 1 400 000 allemands, 600 000 britanniques et quelque 140 000 français (https://fr.wikipedia.org/wiki/Immigration_aux_États-Unis).
[2] En 1763, la « Province of Québec » couvrait la partie nord des territoires de la Nouvelle-France, la région des Grands Lacs ainsi que le Haut-Mississippi, incluant donc le Haut et le Bas-Canada, une partie du Manitoba et du Minnesota ainsi que les États du Michigan, de l’Illinois, de l’Indiana, du Wisconsin et de l’Ohio, tous cédés aux États-Unis avec la défaite de l’Angleterre en 1783.
[3] C’est au tournant du 20e siècle, le 6 décembre 1900, qu’un certain Alphonse Desjardins fonda le mouvement coopératif des Caisses populaires, pour tenter de résoudre le problème de l’accessibilité au crédit par les francophones moins nantis.
[4] Parmi ces 4000 Canadiens (5,7 % sur les 70 000 de cette époque) qui préférèrent quitter le pays, plusieurs historiens, contrairement à une croyance fort répandue, estiment que moins de 400 d’entre eux étaient des nobles, officiers militaires et autres prétendants de l’élite sociale, ce qui est bien loin d’une décapitation de l’élite que d’autres ont déplorée pour les années qui ont suivi la Conquête.
[5] La présence française le long du Mississippi a donné naissance à un grand nombre de villes et villages dont les plus connus sont St-Louis et la Nouvelle-Orléans. Vers 1783, on pouvait compter quelque 12 000 Canadiens français dans la seule vallée du Mississippi. En 1836, ils étaient déjà près de 15 000 au Michigan.
[6] Pour ralentir l’émigration, le gouvernement du Québec encouragea la colonisation agricole en région. Un homme s’est fait notamment remarquer pendant cette période, le curé Labelle. En 1867, il a été curé de St-Jérôme. Surnommé le « roi du nord », iI rêvait d’un pays peuplé de Canadiens-français entre Montréal et Winnipeg.
[7] Le recensement canadien de 1941 dénombra quelque 56 640 franco-américains de naissance à être entrés au pays, et quelque 47 650 personnes nées au Québec et revenues au pays après au moins un an de résidence aux États-Unis.