La Nouvelle-France et le Régime français (1608-1759)
Les années qui suivirent l’arrivée et l’enracinement de François Bournival en Nouvelle-France constituent une époque charnière de l’histoire du Québec, à la fin du Régime français et au début du Régime anglais. Nous en présentons un aperçu en deux parties.
La première partie couvre surtout la période du Régime français, qui prend fin avec la Conquête et le traité de Paris en 1763. La seconde partie porte sur les premiers 50 ans du Régime britannique, de la Conquête jusqu’au début du 19e siècle.
Le Régime français
La démographie du territoire ancestral
La stratégie du gouvernement français à l’égard de la colonisation consistait à concéder des seigneuries à des particuliers influents qui devaient pouvoir y attirer des colons.
Cependant, les résultats ont été plutôt décevants dans les fiefs autrefois inclus dans la paroisse de Yamachiche. En fait, contrairement à l’Angleterre dans ses colonies voisines, la France n’a que très peu fourni d’immigrants[1] à sa colonie du Canada qui, finalement, a surtout dû compter avec l’accroissement naturel.
En 1663, il n’y avait que 3 035 habitants dans toute la colonie française. En comparaison, la même année, la Nouvelle-Angleterre en comptait 80 000. Le premier recensement comportant le nom de Yamachiche est celui de 1706 où l’on ne dénombrait que 165 habitants.
Ceux-ci étaient même répartis dans une vaste région qui, outre Yamachiche, Rivière-du-Loup et Maskinongé, comprenait également Yamaska, située en face sur l’autre rive du St-Laurent. La population de la colonie était alors de 16 417 habitants.
Les défrichements importants et l’accroissement de la population n’ont en fait réellement commencé qu’avec la génération d’hommes qui, nés sur place, y avaient solidement pris racine, sans l’arrière-pensée d’un retour en France. À cette époque, en effet, il semble bien que trois colons français sur quatre retournaient en France après seulement quelques années au pays.
En 1737, la population totale de la colonie était passée à 39 970 habitants. Dans le recensement de 1765, le premier sous la domination anglaise, la population totale de Yamachiche était de 636 personnes, tout autant que celle de Trois-Rivières. La population totale de ce qui était devenu la province du Bas-Canada, à cette date, était alors de 69 810 habitants, dont 8 968 habitants à Québec et 5 733 à Montréal.
En 1790, soit 25 autres années plus tard, la population totale du Bas-Canada avait encore crû de 91 501 personnes pour atteindre le total de 161 311 habitants. Il s’agissait alors d’une croissance prodigieuse de plus de 130 %, encore une fois réalisée sans immigration[2] importante durant cette période. Pendant ces mêmes 25 années, la population de Yamachiche passa quant à elle de 636 à 1669 personnes, ce qui représentait une croissance (162 %) encore plus élevée.
À titre comparatif, au moment de la conquête de la Nouvelle-France, les 13 colonies de la Nouvelle-Angleterre avaient une population de près de 2 millions d’habitants. Même si Londres rêvait alors de détourner une partie des effectifs de la colonisation américaine vers le nord, le Québec, avec son climat rude et sa population catholique et francophone, n’attirait guerre les colons anglais.
En 1790, la population totale des treize colonies britanniques avait presque doublé et atteignait les 3,8 millions d’habitants[3].
La vie quotidienne des habitants
Sous le Régime français et jusqu’au début du 19e siècle, la société était essentiellement agricole. Les colons étaient presque tous de jeunes gens qui entreprenaient la rude tâche de défricher leurs terres et d’élever en même temps une famille.
Tous les jeunes en faisaient autant, chacun d’eux ne pouvant compter que sur eux-mêmes. Dans de telles conditions, le défrichement ne pouvait pas être bien rapide. Avant de bâtir maison et d’y emmener leurs familles, les colons faisaient généralement quelque défrichement sur leurs terres. Il fallait près de cinq ans à un colon pour défricher dans une forêt dense les trois hectares nécessaires à la survie d’une famille. Il devait d’abord couper les arbres à la hache avant de les réutiliser pour construire une première cabane de fortune. Puis on retirait les souches et les roches du sol, parfois à l’aide de bêtes de somme. Sinon, on aménageait des espaces pour les légumes entre les souches.
Des clairières naturelles étaient aussi utilisées pour le fourrage des bestiaux. On faisait des provisions en mettant les légumes dans un caveau à l’épreuve des gelées pour la saison d’hiver. On prenait aussi facilement le poisson dans les lacs et les rivières, de même que lièvres et perdrix qui abondaient en forêt. Les chasseurs pouvaient aussi ramener de plus grosses pièces (orignaux, caribous, chevreuils) ainsi que des bêtes à fourrure (ours, renards, et castors) qu’on partageait ensuite en famille ou qu’on troquait pour différents articles et biens de commodité de tous les jours.
On manquait sûrement de beaucoup de choses à cette époque, mais on n’en sentait pas le besoin, ou on savait s’en passer. Par exemple, les horloges étaient rares dans ces premiers temps, mais on avait vite fait de se donner des repères, comme une ombre sur le sol, qui valaient bien une aiguille sur un cadran. Même quand le soleil était couvert, par habitude, on se trompait peu. La direction et les variations du vent étaient aussi interprétées comme annonçant le beau ou le mauvais temps. C’était leur baromètre et ils agissaient en conséquence. Chacun à leur manière, ils observaient le mouvement des étoiles et des planètes et y décelaient des signes et des indices qu’ils jugeaient fiables et qui régulaient plusieurs aspects de leur vie. Ces indices n’étaient pas fondés sur la science, mais elles prévalaient parmi eux. Ainsi, les influences de la lune sur la végétation et sur beaucoup de choses restaient pour eux une certitude. Autant que possible, ils faisaient leurs plantations et semailles durant le croissant de la lune et n’attendaient que peu de celles qu’ils étaient forcés de faire en d’autres temps.
Malgré cela, on vivait assez bien pour ne pas chercher à émigrer sous d’autres cieux. L’envie d’émigrer n’existait pas encore à cette époque. Il faut toutefois dire que les colonies de Nouvelle-Angleterre n’étaient pas très invitantes. Il y avait bien aussi quelques aventuriers qui voulaient voir du pays et pénétraient un peu partout dans l’Ouest du continent, mais pas de migration importante ou régulière. On s’attachait plutôt au sol natal. Les enfants s’établissaient sur des terres neuves, aussi près que possible de leurs parents, mais en poussant toujours plus loin les défrichements.
La fin du Régime français
À la fin du Régime français, en 1760, les habitants étaient tout aussi étrangers au gouvernement et à la gent officielle que sous le nouveau régime anglais qui s’installa après la Conquête. Les officiels Français, à quelques rares exceptions, n’étaient guère plus sympathiques à la population née dans la colonie, que ne l’étaient les officiels Anglais des premiers temps.
Le magouillage, la fraude et le détournement des fonds publics du dernier intendant de Nouvelle-France (François Bigot) et de ses complices ont d’ailleurs marqué de façon tragique cette fin de régime entre 1748 et 1756. Véritables escrocs en tenue élégante, ils vendaient cher et à leur profit personnel les approvisionnements et les secours expédiés par le gouvernement français. Ils payaient avec du papier sans valeur, les produits, grains et animaux que les cultivateurs avaient à vendre. Bien qu’on puisse croire que les honnêtes gens devaient être heureux de voir partir tant de voleurs enrichis à leurs dépens, de manière générale, le sentiment national prévalait et ils s’attristaient d’être séparés de la France et soumis à une puissance étrangère.
Du reste, grâce aux conditions honorables des capitulations de Québec et de Montréal, et aux articles du traité de cession de 1763, rien ne fut changé dans les coutumes des habitants des campagnes. Leurs propriétés, leurs biens, leurs droits, leurs lois, leur langue, leur foi et leurs pratiques religieuses leur étaient garantis. Les officiers pourvoyeurs de la France les avaient habitués à ne compter que sur leurs propres efforts. Le nouveau joug à porter ne leur parut pas plus pesant. En outre, ce n’était pas chez eux, mais dans les villes que se faisaient les luttes pour empêcher le succès des machinations visant à restreindre leurs droits et libertés.
C’est également sans grande violence que la Mauricie sera passée sous Régime britannique. En fait, il n’y aura pas eu de combats dans la région de Trois-Rivières durant la guerre de la Conquête. Le 11 juillet 1760, une flotte britannique de 35 navires transportant 3000 hommes, sous les ordres du général James Murray, quitta Québec en direction de Montréal. Les Français qui battaient en retraite le long de la rive nord tentèrent bien de les intercepter, mais sans succès. Le 6 août 1760, il y aurait bien eu une centaine de soldats britanniques qui débarquèrent à Champlain, en bas de Trois-Rivières, mais ils se seraient aussitôt rembarqués à la vue des miliciens armés qui les surveillaient. À Trois-Rivières même, on s’était aussi affairé à construire des batteries et des retranchements. Mais, tâche inutile, car Murray ne prit même pas la peine de s’y arrêter, préférant mouiller à quelques kilomètres en amont. La flotte britannique rejoignit les îles de Sorel quelques jours plus tard, sans rencontrer de résistance des Français qui pourtant avaient entrepris d’obstruer les chenaux. C’est ainsi que la région trifluvienne passa sans coup férir aux mains du conquérant.
Enfin, cette période de fin du régime français fut également marquée par un exode assez important de Français, à la suite de la Conquête. Dès la capitulation de Québec en 1759, quelque 1200 marins et officiers de la marine marchande avaient déjà quitté la colonie, sans compter un certain nombre d’administrateurs, de civils et de négociants français.
Après la capitulation générale de Montréal en 1760, plus de 2 560 autres officiers et soldats, ainsi que toute la noblesse française en place, accompagnée de leur suite, s’étaient aussi embarqués sur 22 navires pour la France. Le traité de Paris de 1763 donna un délai additionnel aux Français et aux habitants du pays pour vendre leurs biens et quitter le pays en toute liberté, s’ils le souhaitaient. Entre 1754 et 1770, quelque 4 000 autres personnes quittèrent également le Canada pour la France et ses autres colonies (sur une population totale de 70 000 habitants). Cet exode des Français fut important et certains historiens en parlent comme une véritable décapitation de la Nouvelle-France…Il ne resta plus de l’ancienne élite que quelques notables et marchands canadiens, ainsi que les membres du Clergé et des communautés religieuses, presque tous nés dans la colonie.
Pierre Bournival
juillet 2018
Sources :
- Les bases de l’histoire de Yamachiche – 1703-1903, R. Bellemarre, Beauchemin & fils, Libraires-imprimeurs , Montréal
- Histoire de la Mauricie, Côté, S. (2007). Hardy, René et Normand Séguin, Institut québécois de recherche sur la culture, Les Presses de l’université Laval, coll « Les régions du Québec », no 17, 2004, 1139 p.
- Histoire du français au Québec, La guerre de la Conquête (1756-1760), Jacques Leclerc, Québec, CEFAN, Université Laval, 28 mai 2018,
http://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/HISTfrQC_s2_Britannique.htm#1_La_guerre_de_la_Conqu%C3%AAte_(1756-1760)_
- Treize colonies, https://fr.wikipedia.org/wiki/Treize_colonies#D%C3%A9mographie_g%C3%A9n%C3%A9rale
- Histoire du Québec, La Conquête anglaise du Canada, http://histoire-du-quebec.ca/
- Le 10 février 1763 — Le traité de Paris , Conférence de Denis Vaugeois, Auditorium de la Grande Bibliothèque
Montréal, 23 février 2012, https://www.fondationlionelgroulx.org/Le-10-fevrier-1763-Le-traite-de.html - Filles du roi, mères de la nation québécoise, Yoann Sionneau, http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-734/Filles_du_roi,_m%C3%A8res_de_la_nation_qu%C3%A9b%C3%A9coise.html
- Les Filles du Roy : mères de la nation, Jean-François Veilleux, janvier 2017, https://www.gazettemauricie.com/filles-du-roy/
[1] Quelque 764 Filles du roi furent envoyées au Canada entre 1663 et 1673, dont près de la moitié entre 1669 et 1671. Cette affluence survint juste après la démobilisation d’environ 400 soldats et officiers du régiment de Carignan-Salière en 1667. On ne comptait alors qu’une femme pour six hommes. Orphelines pour la plupart, elles étaient également issues de milieux modestes. Dans toute l’histoire de la colonie, elles ont représenté la moitié des femmes qui ont immigré en Nouvelle-France. En majorité, elles se sont établies à Québec et, dans une moindre mesure, à Montréal et en région. Mariées pour la plupart en moins de 5 mois, ces femmes auraient eu quelque 4 459 enfants connus, ce qui permit de tripler la population totale de la colonie en seulement dix ans. Elles ont donc joué un rôle crucial par leur rôle dans la croissance naturelle de la population. Comme elles provenaient également en grande partie de la région parisienne, elles ont aussi largement contribué à l’homogénéisation rapide de la langue française dans la colonie. À plusieurs égards, elles peuvent être considérées non seulement comme des pionnières ou des aïeules, mais aussi comme les mères de la nation québécoise.
[2] Aucune des Filles du roi ne s’étant vraisemblablement établie à Yamachiche même, les résidents de la région ont tout de même pu compter sur l’apport de plusieurs familles acadiennes, à la suite de leur déportation en 1755. Du Massachusetts où ils avaient été emmenés, un contingent de 192 personnes arriva en 1767; il s’ajoutait aux onze familles venues vers 1760. Également, entre septembre 1778 et juillet 1779, environ 200 loyalistes qui fuyaient l’Indépendance américaine furent aussi accueillis dans la Seigneurie de Gros-Bois Ouest, première seigneurie canadienne à passer aux mains d’un homme au service de l’Angleterre, Conrad Gugy, qui l’avait acquise en 1764, alors qu’il agissait comme secrétaire du Gouverneur du district de Trois-Rivières. Mais ces loyaux sujets britanniques n’y seront pas restés bien longtemps. À l’automne de 1780, ils étaient presque tous partis. Il n’y aura pas eu en Mauricie d’implantation massive de Britanniques.
[3] De ce nombre, on estime à environ 700 000 la population composée d’esclaves, soit un peu moins de 20 % de la population totale des colonies britanniques en 1790.