Le Bas-Canada et le Régime anglais
Les années qui suivirent l’arrivée de François Bournival en Nouvelle-France constituent une époque charnière dans l’histoire du Québec, à la fin du Régime français et au début du Régime anglais. Nous en présentons un aperçu en deux parties.
La première partie couvrait la période du Régime français, qui prend fin avec la Conquête et le traité de Paris en 1763. La seconde partie porte sur les premiers 50 ans du Régime anglais, de la Conquête jusqu’au début du 19e siècle.
La fin de la Nouvelle-France
Après la défaite du 13 septembre 1759 sur les Plaines d’Abraham, le commandant des troupes françaises, alors retranchées à l’intérieur des murs de la ville, Jean-Baptiste-Nicolas Roch de Ramezay, était bien décidé à poursuivre la lutte et à défendre Québec contre l’envahisseur. Il espérait tenir au moins jusqu’à ce que la marine britannique soit obligée de quitter le pays à la mi-octobre, avant que l’embouchure du fleuve Saint-Laurent ne soit bloquée par les glaces. Toutefois, sur l’insistance des habitants éplorés par deux mois de bombardements intenses, il signera la capitulation le 18 septembre 1759.
Pendant ce temps, les Français réfugiés à Montréal préparaient la reconquête de Québec, en espérant des secours de la France au printemps suivant. À la mi-avril 1760, le chevalier de Lévis prit donc la tête d’une armée d’environ sept mille hommes et marcha vers Québec. Le 28 avril 1760, il remporta à Sainte-Foy une éclatante victoire qui raviva tous les espoirs. À la mi-mai, cependant, la marine britannique était de retour à Québec. Lévis et son armée durent alors se replier sur Montréal.
Dans un ultime effort pour soutenir sa colonie, la France avait bien tenté une dernière mission de secours en avril 1760. Une expédition de cinq navires marchands et d’une frégate, transportant vivres, munitions et soldats, quitta Bordeaux le 10 avril 1760. Jouant de malchance, elle perd trois navires en route. Lorsqu’elle arrive enfin dans le golfe St-Laurent le 15 mai, elle apprend que les britanniques sont arrivés les premiers à Québec. Elle décide alors de se réfugier dans la Baie des Chaleurs et de jeter l’ancre dans l’estuaire de la rivière Ristigouche. La bataille qui suivit l’arrivée de cinq navires anglais en provenance de Louisbourg fut ponctuée de nombreux revirements, mais le 8 juillet, les Français durent saborder les navires afin d’empêcher les Anglais de s’emparer des cargaisons.
La capitulation de Montréal[1] suivit peu après et fut signée le 8 septembre 1760. Le Traité de Paris de 1763 officialisera la cession définitive de la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne.
Le nouveau Régime anglais
Le gouvernement provisoire des militaires
En attendant la fin des hostilités et les dispositions du traité de paix entre la France et l’Angleterre, trois ans plus tard, les autorités britanniques instaurèrent un régime provisoire dans la Nouvelle-France occupée. Comme à Québec et à Montréal, un gouvernement militaire fut aussi organisé à Trois-Rivières.
En étendue, la région sous contrôle du gouvernement militaire de Trois-Rivières correspondait à celle du gouvernement précédent sous le Régime français. Sur la rive nord du fleuve, il s’étendait de Maskinongé à l’ouest jusqu’à Sainte-Anne-de-la-Pérade à l’est. Pour le maintien de l’ordre, quelques officiers de milice, seigneurs et curés furent autorisés à conserver leurs armes. Dans chaque paroisse, une dizaine d’armes à feu furent ainsi laissées à l’usage des locaux pour la chasse.
L’abolition du Gouvernement de Trois-Rivières
Le Traité de Paris fut signé le 10 février 1763. Au régime provisoire de l’armée succéda en 1764 une administration civile chargée de la mise en place d’un régime politique conforme aux lois britanniques.
Le 14 août 1764, une Proclamation royale faisait de James Murray le gouverneur en chef de la Province de Québec.
Un mois plus tard, le 17 septembre 1764, le Gouvernement de Trois-Rivières fut morcelé en deux parties qui furent intégrées aux districts de Montréal et de Québec. Sur la rive nord du fleuve, la ligne de partage suivait le Saint-Maurice. Trois-Rivières et Cap-de-la-Madeleine ne faisant donc plus partie du même district. Le motif avancé pour l’abolition du Gouvernement de Trois-Rivières était le nombre insuffisant de sujets qui avaient accepté de prêter le serment du Test, condition minimale requise pour accéder aux fonctions officielles.
La révolution américaine (ou guerre d’indépendance)
Avec la fin de la guerre de Sept Ans (1756-1763) et de la menace française en Amérique, les autorités britanniques, déjà confrontées aux empiètements législatifs et à la montée en puissance des colonies américaines, décidèrent qu’il était temps de profiter de leur position dominante et de renflouer les caisses de la Couronne. Il fut ainsi décidé d’assurer le monopole commercial des compagnies maritimes britanniques. Le maintien dans les colonies anglaises d’une armée imposante et une série de lois qui accentuaient la crentralisation des pouvoirs et créaient de nouvelles taxes provoquèrent également et de façon graduelle la colère des colons américains[2].
Tout au long des années 1764-1774, les manifestations se succédèrent pour réclamer l’abrogation des nouvelles lois. Les violences, au départ sporadiques et limitées, se multiplièrent contre les représentants de l’autorité britannique. La guerre qui suivit opposa les treize colonies d’Amérique du Nord au royaume de Grande-Bretagne, de 1775 à 1783. La proclamation d’indépendance eut lieu le 4 juillet 1776, un an après le début des hostilités.
Le Québec sous pression – l’invasion américaine
Dans cet affrontement, les habitants de l’ancienne Nouvelle-France furent courtisés par les deux belligérants. Les Britanniques étaient résolus à maintenir leur présence en Amérique du Nord et tentèrent donc de se concilier leurs nouveaux sujets de langue française. C’est ainsi que fut proclamé en juin 1774 l’Acte de Québec par lequel Londres rendait accessibles aux catholiques les fonctions officielles, reconnaissait les lois civiles françaises, confirmait la légalité du régime seigneurial et concédait à l’Église le droit de prélever la dîme.
Quant à eux, les Américains voulaient bien chasser les Britanniques de l’Amérique du Nord, car la présence de colonies britanniques au nord du continent constituait une menace. Aussi, tentèrent-ils de gagner à leur cause les Canadiens qu’ils invitèrent à se venger de leurs griefs et à adhérer à leur nouvelle nation.
Rassuré par les concessions de l’Acte de Québec, le clergé catholique demeura loyal à l’autorité britannique. Au sein de la société civile, les élites étaient cependant divisées. Les américains décidèrent donc d’envoyer des hommes en armes pour « convaincre » les Canadiens de se défaire des Britanniques. Les troupes américaines franchirent la frontière en septembre 1775 et Montréal capitulait le 13 novembre suivant.
Le siège de Québec suivit peu après. Les américains donnèrent l’assaut de la ville le 31 décembre 1775, en pleine tempête de neige. Malgré de lourdes pertes, les américains maintinrent le siège de la ville jusqu’au prinemps, jusqu’à l’arrivée des renforts britanniques en mai 1776. Les troupes américaines durent alors se replier vers Montréal. L’invasion du Canada prit fin par le retrait américain en octobre 1776.
L’arrivée des loyalistes et la réforme de 1791
Avec la fin des hostilités, quelque 50 000 loyaux sujets de la Couronne britannique prirent alors la fuite vers le nord, en 1783 et 1784. Bien que plus de 30 000 d’entre eux s’établirent dans le territoire des futures Maritimes, la Grande-Bretagne dut revoir l’organisation de la « Province of Quebec » pour accommoder les nouveaux arrivants anglais qui rejetaient le régime seigneurial, les lois françaises et exigeaient un district distinct. La colonie, déjà amputée des anciens territoires français cédés aux Américains au sud des Grands-Lacs, fut alors divisée en deux par l’Acte constitutionnel de 1791 (The Clergy Endowments (Canada) Act 1791) : le Haut-Canada (Ontario, 10 000 habitants) et le Bas-Canada, à l’est de la rivière des Outaouais (Québec, 160 000 habitants). Quelque 2 000 loyalistes choisirent quand même de s’établir dans le Bas-Canada, surtout dans les Cantons de l’est et en Gaspésie.
La région de Trois-Rivières à nouveau reconnue
Depuis l’abolition du Gouvernement en 1764, les Trifluviens souhaitaient que leur ville reprenne le rôle de chef-lieu régional. Entre autres choses, ils voulaient que le Gouvernement de Trois-Rivières soit rétabli dans ses limites d’autrefois et ils souhaitaient aussi qu’on établisse à Trois-Rivières une cour habilitée à traiter les questions traitant de propriété et de dettes. Enfin, ils revendiquaient également une cour habilitée à juger les affaires « d’assaut et batailles », ce qui devait mettre fin à l’obligation des parties de se déplacer à Québec ou à Montréal.
La requête des Trifluviens fut exaucée en 1792, alors que le district judiciaire de Trois-Rivières fut créé dans les mêmes limites que sous l’ancien Régime français.
La Mauricie au début du nouveau Régime anglais
La principale activité économique du territoire mauricien à l’époque était l’agriculture. Sous la poussée démographique, le territoire exploité s’étendait. En fait, la croissance était surtout sensible à l’ouest de Pointe-du-Lac. De 1760 à 1790, les populations respectives de Yamachiche (de 567 à 1669), Rivière-du-Loup (de 500 à 1829) et Maskinongé (de 383 à 1125) triplèrent, alors que celles des autres localités, dont Trois-Rivières (de 672 à 1213), doublèrent à peine.
Mais c’est avec l’arrivée des premiers anglophones que des changements s’opérèrent dans le tissu social de la Mauricie. Bien que peu nombreux, plusieurs Britanniques firent leur marque dans la région entre 1760 et 1800. Leur poids économique fut considérable et leur rôle social conséquent. Ces nouveaux occupants firent ainsi l’acquisition de plusieurs seigneuries durant les 30 ans qui suivirent la Conquête. En 1790, les principaux titulaires britanniques étaient James Cuthbert (seigneurie Du Sablé et partie de Maskinongé), les héritiers de Conrad Gugy (Grandpré, parties de Grosbois et Dumontier), Thomas Coffin (Pointe-du-Lac et partie de Gatineau), Alexander Davidson et John Lee (augmentation de Gatineau), ces derniers étant associés aux Forges du Saint-Maurice.
Parmi les nouveaux arrivants britanniques, on retrouvera également la famille d’Aaron Hart[3], qui, pendant de nombreuses décennies, a joué un rôle de tout premier plan dans l’économie régionale et put jouir d’une influence peu commune dans son milieu d’adoption à Trois-Rivières.
Sous le règne de la Grande-Bretagne, les échanges par le fleuve s’intensifièrent également. Mais, outre son dynamisme démographique qui tendait à modifier son profil socio-économique, il manquait encore à la région l’activité motrice qui allait donner à l’économie locale une plus grande impulsion. Cette activité se sera effectivement manifestée au tournant du 19e siècle, sous la forme d’une exploitation forestière à grande échelle, notamment pour répondre aux besoins de construction navale de la Couronne britannique, engagée dans les guerres napoléoniennes qui marquèrent cette époque en Europe.
Pierre Bournival
décembre 2018
Sources
- L’Histoire du Québec – Toute l’histoire du Québec depuis ses débuts, http://histoire-du-quebec.ca
- Histoire du français au Québec, La guerre de la Conquête (1756-1760), Jacques Leclerc, Québec, CEFAN, Université Laval, 28 mai 2018, http://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/HISTfrQC_s2_Britannique.htm#1_La_guerre_de_la_Conquête(1756-1760)
- Bataille des Plaines d’Abraham, https://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/bataille-des-plaines-dabraham/
- Dernière bataille navale en Nouvelle-France, Bataille de la Ristigouche, https://grandquebec.com/histoire/bataille-ristigouche/
- Le 10 février 1763 — Le traité de Paris , Conférence de Denis Vaugeois, Auditorium de la Grande Bibliothèque, Montréal, 23 février 2012, https://www.fondationlionelgroulx.org/Le-10-fevrier-1763-Le-traite-de.html
- Treize colonies, https://fr.wikipedia.org/wiki/Treize_colonies_démographie_générale
- Guerre d’indépendance des Etats-Unis, https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d’indépendance_des_États-Unis
- Loyaliste et révolution américaine, https://fr.wikipedia.org/wiki/Loyaliste
- Les bases de l’histoire de Yamachiche – 1703-1903, R. Bellemarre, C, O. Beauchemin & Fils MONTRÉAL http://collections.banq.qc.ca/bitstream/52327/2021626/1/29948.pdf
- Histoire de la Mauricie, Côté, S. (2007). HARDY, René et Normand SÉGUIN, Institut québécois de recherche sur la culture, Les Presses de l’université Laval, coll « Les régions du Québec », no 17, 2004, 1139 p. https://www.erudit.org/fr/revues/haf/2007-v61-n2-haf2272/018072ar/
[1] À la fin de l’été 1760, la guerre de Sept Ans en Amérique touche à sa fin. Les forces américano-britanniques regroupées en trois armées et totalisant 17 000 hommes convergent vers Montréal. Le 6 septembre 1760, le major-général Amherst arrive à Lachine. Le gouverneur Vaudreuil convoque un conseil de guerre le même jour. Débutent alors les négociations sur la capitulation de Montréal et du même coup de la Nouvelle-France. La signature du document, qui est rédigé en français, a lieu le 8 septembre 1760 sous la tente du camp britannique devant la ville de Montréal qui accepte de capituler sans livrer combat. Les 55 articles proposés par Vaudreuil sont presque tous accordés par Amherst. Les demandes françaises comportaient un large éventail de garantie quant à la protection des habitants de la Nouvelle-France : les Français, les Canadiens français, les Acadiens et les Amérindiens. Vaudreuil demandait essentiellement que tous les habitants se voient reconnaître les mêmes droits et privilèges que les autres sujets de la couronne britannique.
[2] Ceux-ci refusèrent de payer sans être représentés à la Chambre des communes à Londres (« no taxation without representation »). Ils reprochaient également à la Grande-Bretagne sa politique territoriale qui interdisait en effet aux habitants des treize colonies de s’installer et d’acheter des terres à l’ouest des Appalaches. Cette interdiction visait notamment à préserver la paix qui suivit la révolte des amérindiens menés par le grand chef Pontiac entre 1763 et 1766. Enfin, en matière commerciale, les Britanniques en étaient aussi venus à taxer les importations et à interdire aux colonies de vendre leurs produits à d’autres pays que la Grande-Bretagne.
[3] Aaron Hart fut le premier citoyen canadien d’origine juive. Vivandier accompagnant les troupes britanniques durant de la guerre de la Conquête, il s’installa à Trois-Rivières, sur la rue des Forges, au début de 1761. De son mariage en 1768 sont nés huit enfants, dont le plus connu Ezekiel (1770-1843). Celui-ci fut comme son père un commerçant et homme d’affaires prospère, ainsi que député de Trois-Rivières (1807-1808). En obtenant la faveur des électeurs de Trois-Rivières, en 1807, il fut le premier député juif élu au Canada et dans tout l’Empire britannique. Mais, ne pouvant prêter le serment officiel « sur la foi véritable d’un chrétien », il fut expulsé de l’Assemblée législative du Bas-Canada et n’exerça jamais sa fonction de député. Il fut néanmoins à l’origine de la Loi de 1832 qui reconnut la liberté religieuse et les mêmes droits fondamentaux à tous les citoyens.